D'une durée de 33min, Les Boulingrin, réalisé pour la collection "Les Levers de rideau", se veut la stricte adaptation de la courte pièce de Georges Courteline. "Monsieur
Des Rillettes, un pique-assiette, est invité par les Boulingrin
à prendre le thé. Il pense pouvoir passer d'agréables moments chez eux
bien au chaud pendant une bonne partie de l'hiver. Mais, les Boulingrin
sont un couple qui ne peut plus se supporter et ils prennent à témoin
leur invité qui reçoit de nombreux coups et de nombreuses insultes." (wiki).
Si l'ensemble est filmé dans un réel décor de théâtre, on
évite heureusement le piège du "théâtre filmé".
Le film commence pourtant par un plan d'ensemble, loin de la scène, tout à fait à
la place du spectateur. Mais une fois l'atmosphère posée (le
pique-assiette converse avec la servante), la caméra
s'approche lentement et finit par embrasser
les personnages au plus près. Vecchiali joue des
apparitions/disparitions hors cadre pour créer quelques gags inédits;
ainsi lorsque notre pique assiette, effrayé par les gesticulations de M. Boulingrin, se jette au sol (il disparaît par le
bas du cadre), le spectateur le découvre soudainement à quatre pattes,
mais une petite table de salon coincée sur son dos, faisant ressembler le tout à
une grosse tortue moustachue. Mme Boulingrin vient aussi nous surprendre
en apparaissant subitement dans l'image, les yeux pleins de malices,
typiquement la vieille sorcière que M. Boulingrin son mari redoute et essaye de décrire à Monsieur Des Rillettes. Même si la très
courte pièce de Courteline ne permet pas à Vecchiali
d'exploiter tout son art, on s'imagine pourtant facilement Vecchiali s'amuser à livrer
une version véritablement débridée des Boulingrin, une pièce qu'on aurait pu
imaginer moins folle si filmée et mise en scène par d'autres. Ici, l'humour
prend une tournure presque Tim And Eric-esque lorsque les personnages
crient à tue-tête, se roulent par terre ou même cherchent à forcer M. Des Rillettes à manger et boire en même temps.
Les
années 1990 semblent une période creuse pour Vecchiali qui cumule les
court-métrages et téléfilm et trouve grandes difficultés à revenir sur
le grand écran. On aimerait dire que ses téléfilms sont intéressants,
mais comment les voir ? De cette période, les seules œuvres visibles sont Wonder Boy (un long de 1994 que la team filmsdursavoir n'a pas encore vu) et L'Impure
(1991), téléfilm de trois heures adapté de Guy des Cars (!) mais disponible
uniquement doublé en ukrainien (!!). En 1998, Paul Vecchiali réalise le
biopic d'un grand antiesclavagiste français, Victor Schoelcher, l'abolition. Ce
film aussi est disponible, et est même sorti en DVD, mais l'on peut
douter de son intérêt quand Vecchiali déclare avoir décidé de faire "le deuil du
cinéma"(1), à la suite de cette réalisation. En effet, le temps espacé entre Victor Schoelcher... et La marquise est à Bicêtre
en 2003 est de cinq années, soit la plus longue période pendant
laquelle Vecchiali n'ait pas réalisé le moindre film. Cinq années pendant lesquelles fut
organisée une rétrospective Paul Vecchiali à la Cinémathèque française
(2), certains pensaient peut-être alors la carrière de Vecchiali finie
(on sait depuis que A vot' bon coeur..., 2004, ainsi que Et + si @ff, 2006, sont de très bons films)...
Les Boulingrin n'est donc qu'une pièce mineure de l'imposante
filmographie vecchialienne, mais dans le cas particulier d'un grand
auteur peu visible, ne faut t-il pas essayer de tout voir (4)? Quitte à
être déçu, voir la multiplicité des œuvres de Vecchiali, c'est voir la
vie de son cinéma, le cinéma d'un auteur qui continue encore aujourd'hui
de réaliser près d'un film par an (je vous renvoie au texte de Comolli cité dans la critique précédente). Les Boulingrin reste une œuvre
jouissive, divertissante, et qui probablement renvoie à la folie
discrète du cinéma français des années 30, tant prisé par Vecchiali :
"Tout y est audacieux. Dans quel film actuel verrait-on le héros
sauter
par-dessus un canapé et se rouler par terre en poussant des cris
d'orfraie ?" (3). Chez Vecchiali, c'est possible.
Vincent Poli
Vincent Poli
2 (impossible de retrouver la programmation de cette rétrospective !)
4 Eustache reste un cas à part :u ne œuvre importante mais pas énorme, et généralement découverte par les cinéphiles un tant soit peu motivés.
Cote de rareté : 2/5. Visible en accès libre uniquement au sein de la bibliothèque du Centre Pompidou.
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