mardi 7 avril 2015

Les Passagers (Jean-Claude Guiguet, 1999)

Après Fuller, Guiguet (le mariage de Faubourg Saint-Martin ne fait-il d'ailleurs pas référence aux Forty Guns du « primitif » américain ?).

Jean-Claude Guiguet ou seulement quatre longs en vingt ans et le plus beau – avec celui de Frot-Coutaz – court-métrage d'Archipel des Amours. Quatre films dont peut-être trois chef-d'œuvres et ce dernier film un peu en deçà, Les Passagers. Ce qu'on a reproché (trop tôt) à Vecchiali (bons sentiments mal digérés, etc) a finit par se manifester au cours des années 90, et Les Passagers c'est un peu ça; l'extraordinaire bonté de Guiguet pour ses putes, ses alcooliques, ses scarifiés; c'est-à-dire ses amoureux; s'épuise (ou nous épuise) un peu dans ces trajets en tramway qui rythment le film.
Le tramway, c'est l'anonymat des transports en commun (anonymat que l'on brise au hasard des rencontres) et la trajectoire facile, automatique, sans brusquerie. C'était déjà le cas avec Faubourg Saint-Martin (l'hôtel), mais fini les dessous des ponts parisiens – Les Passagers est peut-être avant tout préoccupé par le virus du SIDA (Cyril Collard en prend d'ailleurs pour pour son grade, tandis qu'Eustache ou Vigo sont loués par un professeur de mathématiques); et cela suffit bien. Si nous sommes tous les mêmes, à tâtonner dans le noir, les relations sont quand même plus douces qu'auparavant (surtout pour l'infirmière et son gardien de nuit (Fabienne Babe et Philippe Garziano)), et la mort d'un jeune homosexuel contaminé ouvre le film plutôt qu'elle ne le ferme, laissant au film toute sa respiration nécessaire (jusqu'au monologue comique de Bouvet sur la trisexualité face à un Serge Bozon mutique et qui désire juste s'échapper du tramway). Le film a pourtant tendance à parfois aller trop loin dans sa recherche de la beauté cachée sous chaque fragment de nos vies : la magie des transports ne fait pas tellement effet (surtout les monologues face caméra de Véronique Silver, pourtant d'un intérêt primordial), les touches d'humour sont parfois ratées (l'homme à la recherche des pieds parfaits). Voilà qui peut donner au film un aspect quasi-vieillot par moment (la diatribe contre le walkman...). Au contraire, on est parfois pris à revers par les relations en apparence simples et pourtant si profondes qui s'établissent entre les personnages. Dans ses nombreuses qualités et quelques défauts, Les Passagers est en tout cas un film "millimétré".
Pour l'anecdote, le film se présente assez clairement comme un film « de banlieue » (c'est bien le propre du tramway de rester à la périphérie de Paris) et comporte deux catégories de plans liés aux séquences du tramway. La première catégorie est composée des plans filmés dans le couloir du tramway (dialogues, gros plans, etc, c'est-à-dire l'essentiel du récit). La deuxième catégories, ce sont les plans filmés soit depuis la rue (le tramway s'arrête en station), soit depuis le siège du conducteur (les rues défilent). Or ces plans, et contrairement à ceux de la première catégorie, sont filmés près des stations de Saint-Denis, la Courneuve ou Bobigny, et pas vraiment les lieux les plus resplendissants de la ligne T1 : Guiguet, filmant l'été, parvient à « cacher la misère ». Fort contraste avec les scènes de dialogue, ou la végétation rayonne à l'extérieur du tramway – dont les passagers sont d'ailleurs très middle class. Le cinéma de Guiguet n'a jamais pêché par ses idéaux ni son utopisme, lesquels sont, au contraire, exemplaires. Mais ici, il est peut-être un petit peu aveugle. C'est pardonné.

Août 2017 : je viens de lire le livre de Philippe Roger sur Les Passagers (éditions Paroles d'aube), qui me donne très envie de revoir le film et me donne carrément honte d'avoir écrit ce court texte. Dans ses notes, Guiguet précise que la R.A.T.P. l'a empêché de tourner les scènes de dialogue dans le nouveau tramway reliant Saint-Denis à Bobigny. Ces scènes ont donc été tournées dans un tramway de Strasbourg. C'est un détail mais il me semblait important de le préciser. 

Cote de rareté : 2/5 : un DVD existe, mais il est épuisé. En bonus : deux court-métrages d'Haydée Caillot.

Vincent Poli

Dead Pigeon on Beethoven StraBe (Samuel Fuller, 1973)



Fuller, américain en exil depuis The Naked Kiss mais surtout après l'échec de Shark, finira lentement sa carrière en Europe avec une suite de téléfilms dont Dead Pigeon on Beethoven StraBe est le premier réalisé. Cet « épisode » appartenant à la série allemande Tatort (toujours en cours de diffusion...) est basé sur une histoire d'extorsion à partir de photos non pas truquées mais mises en scène (on endort un homme politique pour le faire poser à côté d'une fausse prostituée). La première partie est impressionnante et renferme sûrement les « deux scènes géniales » mentionnées par Ciment (Surpris par la nuit – Samuel Fuller) : un homme est abattue rue Beethoven (l'on voit d'abord le cadavre d'un pigeon tomber du ciel!), le suspect est attrapé puis tente de s'échapper de l'hôpital où il est détenu, le tout donnant lieu à une course poursuite ultra violente et nerveuse, frôlant les ellipses Suzukiennes période Youth of the Beast; le tout étant rythmé par la musique psychédélique de The Can (?).

A partir de là, tout dégringole lentement : après une scène qui semble tourner le film vers le camp, le policier moustachu (Glenn Corbett, méconnaissable 15 ans après le chef d'œuvre Crimson Kimono ) quitte son collègue latino musclé et blessé, et s'en va piéger l'arnaqueuse jouée par Christa Lang (alors épouse de Fuller), l'objectif étant de collaborer avec elle pour remonter jusqu'à la tête de l'organisation. C'est à peu près tout ce que j'ai compris. De nombreux plans prouvent que Fuller, contraiment au cas Shark, est bel et bien là, et que l'ambiance étrange du récit est voulue, mais Christa Lang est en totale roue libre et l'enquête perd vite tout son intérêt. Premièrement, on ne comprend jamais où les personnages veulent en venir, deuxièmement, Mme Fuller, avec son presque séduisant cheveu sur la langue, alterne constamment entre le français, l'allemand ou l'anglais mais avant tout semble alterner les types de jeu! A la limite, le vrai problème serait que le film hésite entre son récit et ses instants de folie délibérés (Corbett hilare au cinéma devant Rio Bravo en allemand ou le remarques d'un gangster sur l'écologie). Le film, visiblement tourné avec un budget ridicule, ne tient pas ses promesses de sang des premières minutes; ni les suivantes (parodie, critique), et aurait mérité d'être largement raccourci. Peut-être alors un film de « remise en marche » pour Fuller qui par la suite (dix ans plus tard!) réalisera à nouveau deux grands films (White Dog et The Big Red One) avant de retourner aux téléfilms, pour la dernière fois.


PS: dans une version de 128min aujourd'hui introuvable, les acteurs vêtus de costumes clownesques (le film se termine sur un carnaval) annoncent aux spectateurs qu'ils s'apprêtent à voir une farce. La faute serait peut-être alors rejetable sur les responsables du montage 'final' de 90min.

3/5 : trouvable sur internet.

Vincent Poli