En 1950, René Vautier
détournait la commande du ministère de l'éducation afin de réaliser
Afrique 50, considéré comme le premier pamphlet
cinématographique anti-colonialiste. Paul Meyer usera de la même
ruse en 1959 lorsqu'il recevra une commande du ministère de
l'éducation belge pour la réalisation d'un court-métrage de
propagande sur l'intégration des enfants immigrés au sein du
Borinage. Rendu sur place, Meyer se
rend très vite compte que la situation est loin d'être idyllique.
Les mines, en plus d'être meurtrières pour les ouvriers belges,
français, italiens,... sont aussi en perte de vitesse et
acculent toute une population au chômage. Dans cette région sans
espoir, un écho parti du haut d'un terril ne porte que ces trois mots : « Borinage,
charbonnage, chômage ». Avec, en toile de fond, les murs que
dressent entre eux ces hommes aux langages différents, et la
domination des riches sur les pauvres, comme partout ailleurs.
S'emparer
de ce maigre budget de base pour réaliser un long-métrage poétique et
social, voilà une tâche face à laquelle Meyer n'hésita pas, lui
qui avait lutté en Espagne aux côtés des anarchistes (Orwell,
rencontré à Barcelone, lui conseillera de s'enfuir), lui qui avait
dû égorger au couteau pour survivre (il s'en cachait).
Déjà s'envole la
fleur maigre tire son titre d'un
vers de Salvatore Quasimodo. Comme le poème, qui apparaît dans le
générique, le film se déploie lentement mais par salves. Ce n'est
pas un film d'agit-prop comme La Grande lutte des mineurs
(Louis Daquin/Collectif CGT), dont Afrique
50 reprend des plans ; le film de Meyer se
rapproche franchement du néo-réalisme italien en conservant ce
paradoxe d'un film qui sait prendre son temps face à une situation
qui demande tant à ce que l'on intervienne, que l'on se révolte. Le
début du film voit un ouvrier sicilien errer en ville. Avec quatre
jours de chômage par semaine, il n'a d'autre occupations que de
s'adosser aux barrières pour écouter la fanfare locale et rêver à
son retour au pays. En même temps, il se rappelle les humiliations de
39 lorsqu'on l'a chassé de Marseille, où il était docker. Un
ouvrier doublement déraciné qui espère rentrer en Sicile mais
peut-être n'en a même pas la force. Le soir, c'est une famille sicilienne qui arrive au Borinage par train, afin de rejoindre le père qui vit ici. Dans la
nuit noire (la lumière, compte tenu des conditions de tournage, est
peut-être l'aspect le plus impressionnant du film de Meyer), les
enfants qui jouent sur la place se détachent de la pénombre comme des lucioles
autour d'un arbre. On les fait déguerpir, ils ne tardent pas à
revenir. La seule face visible du Borinage, alors, c'est cette sorte
d'entraide entre les familles émigrées. Mais déjà tout s'étiole :
le chômage est là, comme partout, la maison vétuste, la mère
avait rêvé «d'être mieux ici que là-bas », mais c'est
peine perdue. Pourquoi avoir amené les enfants ici, alors même que
les mines commencent à fermer, pourquoi leur apprendre un « métier
de chômeur » ? C'est ce désespoir sous-jacent qui donne
corps à la suite du film. Déjà s'envole la fleur maigre
décrit minutieusement les petits moments du quotidien des différents
protagonistes, des enfants qui passent leur temps à se lier d'amitié
puis à s'exclure, au jeune homme qui cherche un travail de mineur ou
simplement désire embrasser une belle fille belge lors d'un bal, en
passant par la mère qui se remémore la Sicile... avec, toujours, le
Borinage aride qui s'étend dans toutes les directions. A travers la
fumée, la poussière, de terrils en terrils, ce sont quelques
personnages renoiriens que l'on aperçoit errer chacun dans leur coin
(handicapé, prêtre, mineur, vendeur de harengs...), avec, pour
seule musique, une guimbarde solitaire. La fin du film, ce sont les
mineurs qui rentrent chez eux, la suie sur leurs visages
correspondant à ce retour à la nuit, la même qu'au début du film. A la fin de cette journée de travail, toutes les routes semblent converger vers un futur
sans espoir, un futur qui toutefois ne peut qu'advenir parce qu'il y aura toujours des hommes qui fuiront une
forme de pauvreté vers une autre, quitte à devoir se sacrifier dans
la mine, pour la
mine.
Paul
Meyer, décédé il y a quelques années, fut pendant longtemps la
bête noire du gouvernement belge et la dette entraînée par la
réalisation de Déjà s'envole la fleur maigre
le poursuivit pendant de longues années. Certains de ces films ont
néanmoins subsisté : ainsi Klinkaart,
court-métrage de 1957, et Ce pain quotidien
(1962-1966), série télévisée en treize épisodes d'une heure,
dont la dernière partie reproduit le trajet d'exil d'un immigré de
l'Espagne à la France. Pour
en savoir plus, louer une copie ou tout simplement lire une bien meilleure critique du film que la mienne :
http://www.peripherie.asso.fr/paul-meyer-portraits-et-entretiens-ecrits-documents-publications-patrimoine .
Vincent Poli
Cote
de rareté : 4/5. Film projeté et présenté par Tangui Perron en février 2016 dans le cadre des 16e Journées
cinématographiques dionysiennes. La copie affreuse qui circule sur internet ne rend pas hommage à la très belle photographie du film.