samedi 30 avril 2016

Seafood (Zhu Wen, 2001)


Seafood est le premier film de Zhu Wen. Anciennement ouvrier ingénieur, reconverti écrivain au début des années 90, son travail littéraire l'amène à collaborer avec les réalisateurs indépendants de la sixième génération. On retrouve son nom au générique du Seventeen Years (1999) de Zhang Yuan, mais il écrit surtout le scénario du meilleur film de Zhang Ming (et peut-être le meilleur film de cette génération, si l'on excepte l’œuvre de Jia Zhang-ke), Rain Clouds over Wushan (1996). Zhu Wen réalise Seafood au tout début des années 2000, époque charnière où le cinéma indépendant reste interdit dans son propre pays mais qui voit aussi une transition s'opérer, grâce aux festivals internationaux (Suzhou River date de 2000), grâce au Parti qui va bientôt commencer à faire de l’œil à ces jeunes réalisateurs connus à l'étranger. Zhu Wen aurait pu se contenter d'enfoncer cette porte ouverte, Seafood est pourtant tout ce qu'il y a de plus radical et désespéré : tourné en cachette à la caméra DV et dans des zones quasi-désertes, Seafood est plus un témoignage de la méthode guérilla de Wu Wenguang (qui est d'ailleurs cité au générique en tant que « préparateur ») qu'un « beau film indépendant » réalisé dans le respect de la censure chinoise. C'est, en somme, le film d'un voyou, tourné au mépris des règles de l'art et n'hésitant pas à montrer la Chine dans ce qu'elle a de plus sombre. 

Xiaomei, une jeune prostituée de Pékin, se rend dans un hôtel situé en bord de mer afin de s'y suicider. Alors qu'elle vient tout juste d'arriver, c'est son voisin de chambre, un jeune poète fauché, qui passe à l'acte. Un policier se met alors à tourner autour de Xiaomei. Sous prétexte de vouloir la protéger d'elle-même, il la viole, l’emmène au restaurant pour (à chaque fois) manger des fruits de mer, l'empêche de quitter la ville et l'incite même à aller faire du shopping... Homme banal, tour à tour lèche-bottes puis agresseur, ce pervers n'ayant que les mots « logique » et « raison » à la bouche est un symbole du paternalisme étatique chinois et probablement le personnage le plus foncièrement dégueulasse du cinéma de l'époque. Il faudra peut-être attendre le The Bride de Zhang Ming pour palper d'encore plus près le sordide du commun. 



Seafood tire sa force de ses paysages plus glacés qu'enneigés : la ville de Beidaihe (traditionnellement le palais d'été des hauts membres du Parti) semble se figer progressivement tandis que la mer, alors même qu'elle rassasie quotidiennement le flic (selon lui, manger des fruits de mer augmenterait les capacités sexuelles, et chaque huître aurait un goût différent selon le restaurant, de même que « chaque fille a un goût différent »), ne nous est offerte qu'au tout début du film, comme une image volée et amenée à disparaître. Dans les zones traversées (un pont, un lac gelé, et toujours des restaurants vides), n'errent que des personnages à demi-fous, fantômes du nouveau millénaire (l'histoire se déroule quelques jours avant le nouvel an chinois) : une vieille femme ramassée au bord de la route prétend qu'on lui a volé un sac rempli d'argent... avant d'avouer qu'il s'agit de faux billets destinés à être brûlés sur les tombes : « même de cela, on en a pas assez ». La Chine de Zhu Wen apparaît comme un territoire sans carte, terrain de jeu infini pour tout réalisateur souhaitant cracher à la face du monde. Les êtres que l'on aperçoit au loin ou sur le bord de la route semblent engourdis par le froid et cette fausse platitude des choses qui les entoure, on devine que si le réalisateur avait improvisé une scène de meurtre en pleine rue, sans doute que personne n'aurait réagi.
 
Dans la dernière partie du film, Xiaomei sort de sa léthargie. Elle retourne à Pékin et le film paraît un instant devenir un documentaire attendu sur les conditions de vie des prostitués. Pourtant, l'une des xiaojie a mal au ventre : on l'emmène chez le gynécologue qui extrait de son vagin un billet de 100 kuai. Billet qui se révèle d'ailleurs être un faux. Les deux jeunes femmes passent alors la journée à essayer de refourguer ce billet, toujours rattrapées au dernier moment. Dans leur sillon, ce sont les rues anonymes de la Chine qui se déploient puis se referment ; les passages souterrains qui concentrent les revendeurs, les échoppes, les restaurants comme les hôpitaux, tout paraît se fondre dans le même maelstrom agité, les murs gris comme le ciel. A l'arrière-plan du film se déroule un rouleau sans fin, celui qui palpite encore et toujours dans l'ombre de cette Chine nouvelle puissance mondiale. 

Vincent Poli 



Cote de rareté : 5/5. Le film était invisible depuis son passage dans les festivals internationaux (2001-2002), le réalisateur lui-même souhaitant la disparition du film (peut-être est-ce parce que Zhu Wen a par la suite réalisé un film approuvé par le Parti). Un VHS-rip est finalement apparu sur internet au début de l'année 2016, au grand plaisir des cinéphiles chinois. Sous-titres anglais. 


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